Invitation (pv Fatalis)

A l'aéroport de Doomstadt, tout le monde ne regardait qu'elle. Une jolie jeune femme, certes. Mais plus choquant, dans ce pays européen enclavé dans ses montagnes, une femme noire au visage tatoué de deux paires de griffes sur chaque joue, en tenue traditionnelle Wakandaise. Elle portait sur la hanche un sac de chanvre, qu'elle emmena avec elle, clopin-clopant, jusqu'au sommet où était bâtie la céleste citadelle de Fatalis. Elle était porteuse d'un trop précieux message pour faire demi-tour. Et bien qu'elle désapprouvât l'initiative de son roi de la faire voyager en territoire barbare et étranger, elle s'en acquitterait avant de rentrer en Afrique au plus vite. Farouche, elle s'avança vers les gardes en leur indiquant qu'elle voulait entrer. Ne parlant pas le Latvérien, elle dut comme son maître le lui avait dit, montrer un petit bijou noir en forme de tête de félin comme il n'en existe qu'une douzaine sur la planète.

Très vite, la nouvelle arrivante fut rejointe par un comité d'accueil des plus officiels. Un homme de grande taille et d'un âge avancé, flanqué d'un douzaine de robots en tenue de parade, se dirigea droit sur la wakandienne et s'incilna brièvement à son approche.
Cette visite n'avait pas été annoncée et l'avion diplomatique s'était posé en tant que simple transport destiné à l'ambassade du Wakanda en Latvérie. Comme de bien entendu, une caméra avait filmé l'ouverture de la porte et l'aéroport avait demandé les visas des occupants de l'appareil. Quoique tout fusse en règle, l'identité de la passagère avait immédiatement transmise au seigneur de Latvérie qui avait, en retour, envoyé son fidèle Boris pour la recevoir.
Les gardes robotiques étaient anthropomorphes pour autant leur aspect mécanique ne laissait aucun doutes ce qui fait que, dans leur uniformes de parades, ils avaient l'air de jouets anciens sortis d'un film d'horreur et que l'ont aurait reproduit à taille réelle. Leurs armes étaient d'apparence ancienne et on aurait pu les confondre avec des fusils à baillonettes de plus d'un siècle, ce qui n'était évidemment pas le cas. Les sinistres pantins robotiques se disposèrent à bonne distance des humains dont il devaient assurer la sécurité et les badeaux se firent moins proches. Il apparut évident que les natifs y étaient habitués car ils ne quittèrent pas la scène pour autant...
A peine avait-il fini de la saluer que le vieil homme prit la parole.

" Au nom du Seigneur Fatalis, soyez la bienvenue en Latvérie. Je me nomme Boris, je suis l'intendant de Doomstadt et je suis venu aussi vite que possible, nous n'avions pas été prévenu de vôtre arrivée. Dois-je annoncer vôtre visite au Seigneur Fatalis ou êtes vous venue à un autre titre ? "

Le ton était des plus respectueux mais de toutes évidences le vieil homme n'était pas des plus à l'aise dans un tel rôle. Boris était bien sûr connu de la diplomatie wakandienne pour être effectivement l'intendant de Doomstadt ainsi que l'homme de confiance de Fatalis, celui qui avait depuis toujours accompagné ses pas. Il n'était en rien une figure internationalle mais sa présence était emblématique de l'importance que le maître de Latvérie accordait à une telle visite.

La jeune femme ne fut pas surprise d'être accueillie par un humain, et cependant sécurisée par des robots. Telle était la politique de Fatalis. D'après la révérence du vieil homme, l'émissaire était plutôt la bienvenue. Bien sûr il existait une ambassade en Latvérie, mais les hommes noirs qui y vivaient étaient reclus de la société et obligés de vivre avec difficultés à cause des préjugés en vigueur. Cela ne lui rendait pas la nation visitée sympathique, malgré les pseudo attentions de la part du monarque. Elle montra de nouveau le bijou panthère inimitable et répondit en anglais :

"Je suis Fajeera, de la maison de la Panthère. Wakanda. Ma visite est exclusive et ne concerne que votre maître. Amenez-le moi, je dois lui montrer une chose."

Le sang de la belle Noire bouillait dans ses veines tant elle se sentait envahie par ces rustres moyen-âgeux. Ce qu'elle connaissait de leurs lois la révulsait, mais elle manquait de langage pour le leur dire ; et, doutant que cela serve à quoi que ce soit, elle n'était pas là pour créer un incident diplomatique.

Le vieil homme parut un instant surpris par la tournure de la phrase. Fajeera avait sans doutes mal choisi des mots qui n'étaient pas dans sa langue natale aussi Boris prit-il soins de rester calme afin de dissiper ce qui se profilait comme un problème.

" Le Seigneur Fatalis va vous recvoir immédiatement. Si vous voulez bien me suivre. "

Joignant le geste à la parole, Boris désigna de la main une luxueuse limousine blindée qui attendait devant la porte de l'aéroport. Les robots, quant à eux, ne firent pas le moindre mouvement. En aucun cas il n'aurait fallu que l'invitation ait l'air d'être forcée par les armes.

Fajeera ne fut pas surprise de la rapidité de mise à disposition d'un transport pour accéder au monarque. La technologie archaïque du véhicule, en revanche, la fit sourire sans pitié aucune. Elle hocha néanmoins la tête à l'adresse du vieil homme blanc, et se laissa introduire dans la limousine blindée.

L'apparence de la limousine était bien entendue destinée à correspondre à l'imagerie "traditionnelle" de la Latvérie et si il ne s'était pas attendu à un refus de la part de cette visiteuse surprise, Fatalis lui aurait plus probablement envoyé un cortège avec caresse et gardes montés mais l'heure n'étant pas à la parade, il n'en fut rien.
La limousine glissa dans un aprfait silence le long des rues de Doomstaadt jusqu'au chateau qui surplombait la ville. Les imposantes tours de pierres offraient un spectacle relevant autant du compte de fée que du film d'horreur mais le fait que rien n'ait vraiment été fait dans ce but rendait le tout quelque peu sinistre.
Le véhicule passa le pont levis du chateau qui se releva aussitôt après. L'unique occupante du luxueux habitacle allait bientôt pouvoir sortir dans la cour où Boris l'attendait déjà. Cette fois-ci aucun robot ne l'accompagnait, pour autant il n'y avait pas non plus de personnel humain aux alentours.

La jeune femme sortit du véhicule motorisé avec toujours sa sacoche pendant le long de la hanche. Ses yeux s'écarquillèrent un moment à la vue proche des structures de pierre du castel latvérien. Un frisson lui parcourut l'échine. Elle dut reconnaître que le style était bien mis en œuvre. Le nombre de morts par-dessus lesquels avait été construit ce bastion se ressentait. Il faisait vraiment époque, et Fajeera eut presque une peur authentique d'être brûlée comme sorcière. Le physique usé et ingrat de Boris avait une tonalité différente au sein de ce décor. Il avait désormais quelque chose d'effrayant. On aurait pu penser qu'il était aussi vieux et monolithique que le château. Raidie par l'intimidation, Fajeera arracha une question du fond de sa gorge.

"Fatalis demeure ici?"

Le vieil homme ne se fit pas prier pour répondre sur un ton toujours aussi poli, comme si l'effet que le chateau et sa personne produisaient sur la jeune femme ne lui était pas apparu. Bien sûr il n'en était rien mais, audelà de toutes apparences, Boris était un homme bon et il n'aurait pas profiter d'une telle situation à moins que son maître ne le lui ordonne, ce qu'i n'était en rien le cas.

" Oui, ce château est bien le sien et il y vit. Tous les souverains latvériens y ont régné et vécu. "

Boris lui indiqua les marches qui leur faisaient face.

" Le Seigneur Fatalis va vous recevoir. "

La jeune Noire hocha de la tête. Elle regarda le haut escalier avant de s'y engager. Puis, un pas après l'autre, elle monta les marches. Elle chercha du regard à côté d'elle l'homme qui était censé lui montrer la porte qui la mènerait à Fatalis. Dans sa sacoche, le poids du message se faisait de plus en plus lourd.

L'attente ne fut pas longue, le château était vaste mais cela restait un château. Quelques minutes après avoir franchi le pont les premiers remparts, la messagère et son guide arrivèrent devant les portes de la salle du trône de Latvérie.
Boris s'arrêta et se retira sur le côté en désignant les portes qui s'ouvrir d'elles mêmes.

" Je vous laisse ici, donnez vous la peine. "

La vaste salle médiévale était éclairée par des braséros ainsi que par une immense cheminée. Les tentures étaient magnifiques mais la lumière des flammes les rendaient quelque peu sinistres. Divers armes et armures d'autres temps agrémentaient les boucliers aux armoiries latvériennes tandis qu'à l'opposé de la grande porte, une volée de marches supportaient un lourd trône de bois d'une autre époque.
Rien dans la pièce ne témoignait des avancées technologiques dont disposait en réalité le maître des lieux. Le Docteur Fatalis regarda froidement entrer la jeune femme sans prendre la parole dans le même temps. Pour ce faire il attendrait que les lourdes portes se referment, ce qui se ferait dès que l'invitée les aurait franchies.
La scène relevait plus d'un film d'horreur que de la visite diplomatique pourtant Fatalis n'avait pas inventé cette mise en scène pour l'occasion. Dans ce monde comme dans celui d'où il venait, le faste de la diplomatie ne faisait pas partie de ses habitudes : il n'aimait pas l'idée qu'on puisse le comparer à ces dictateurs que se livrent à d'indécentes cérémonies luxueuses pour impressionner leurs visiteurs.

" Bonsoir, bienvenue en Latvérie. "

La voix de Fatalis était aussi déterminée que solennelle, ce qui cadrait parfaitement avec le cadre de cette rencontre.

Fajeera s'avança sur le palier d'inspiration médiévale, et fit un faible geste de remerciement envers Boris. Elle sursauta lorsque les portes à double battant s'ouvrirent d'elles-mêmes. C'était à la fois très semblable et très différent des systèmes en vigueur au Wakanda, et cela la mettait mal à l'aise. Le décor l'impressionnait, c'était tout à fait l'image qu'elle se faisait de ce que devait être l'inquisition au moyen-âge.

Elle vit enfin le monarque de Latvérie, qui la salua sobrement mais avec presque de la chaleur. Elle inclina sa nuque raide devant lui, avec le sentiment de s'humilier. Ses muscles étaient tendus. Elle souleva l'anse de sa sacoche avec fébrilité. Son geste saccadé s'arrêta net, et elle tomba au sol, évanouie. Elle reprit immédiatement connaissance et s'excusa dans sa langue natale. Le jeune femme, sapée de ses forces, tendit le bras pour atteindre l'objet qui avait roulé hors de son sac. Un objet circulaire, semblable à un petit socle vert.

Fatalis n'eut pas la moindre réaction quand son interlocutrice perdit connaissance, ses robots s'en chargèrent pour lui. Tous se mirent à scanner les environs, comme pour détecter une présence ennemie et dans la seconde qui suivit plus un seul ne bougeaient. De toutes évidences aucun intrus n'était intervenu, si cette jeune femme avait été victime d'une agression elle venait soit de très loin et c'était de la magie ou de la télépathie agressive soit elle était souffrante. Cette dernière hypothèse étant la plus logique, le seigneur de Latvérie activa une commande vocale.

Scanner biologique.

Un large disque métallique sortit d'un tapisserie pour glisser silencieusement dans les airs. Une lumière bleutée baigna le corps de la jeune femme puis tout redevint normal. Le maître des lieux se leva calmement de son trône et s'approcha de la scène. Le rapport de la sonde corroborait le diagnostic de Fatalis, Fajeera était tombée malade. La vie en Antarctique avait du quelque peu l'affaiblir et un virus en avait profité. Rien que la science ne puisse solutionner et Victor identifia l'objet comme un lecteur holographique, lequel devait contenir un message du roi T'Challa.
Victor s'accroupit pour soulever l'émissaire dans ses bras afin de la mener à une des chambres du château. Un robot y apporta les effets de la jeune femme qui resta allongée sur un vaste et confortable lit où elle reçu un vaccin adéquat et de quoi la remettre sur pied. D'ici quelques elle reprendrait connaissance et chercherait sans doutes à rejoindre son hôte qui était redescendu à la salle du trône.
Le message de T'Challa pourrait bien attendre une petite demie heure...

Fajeera était très faible. Son front couvert de sueur, elle trembla d'un coup en réalisant qu'elle était enfoncée dans un lit latvérien à baldaquins. Une vieille dame dont l'apparence était semblable à l'image d'un portrait accroché au mur, et de dimensions grandiloquentes, cette vieille aristocrate était assise avec dignité sur un fauteuil sobre cerclé de bois. Son regard était insondable, sauf qu'avec certitude on pouvait dire qu'elle regardait la jeune Noire. Lorsque la jeune femme avait ouvert les yeux, un robot s'était approché d'elle pour prendre sa température, sa tension et son rythme cardiaque.

» Dr Fatalis